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Témoignages

Dans le cadre de nos activités, nous recevons des témoignages de vécu de personnes LGBTQI+ en Corse. Il nous semble important de les rendre public, afin de témoigner des parcours et des spécificités territoriales, et donner de la voix à ceux et celles qui en ont trop peu.

Être transgenre en Corse, quel vécu ?

 

Celui du coming-out, à sa famille et à ses proches, reste relativement similaire à celui des lesbiennes et gays, par exemple. Mais attention à celui qui oserait être transgenre et non hétérosexuel à la fois ; cela est vécu comme une double peine par son entourage.

 

Commencer sa transition en pleine vie professionnelle me paraît difficile ; en pleine vie scolaire, elle me paraît impensable (et rappelons qu’une grande majorité des transgenres aujourd’hui se « découvre » trans à l’âge de l’adolescence, voire même avant). Je me considère chanceux d’avoir débuté ma vie professionnelle sur le continent car j’aurais appréhendé la réaction d’un employeur corse.

Quant au milieu scolaire corse, déjà gangrené par le harcèlement, et ce malgré un tabou particulier considérant les identités LGBT des élèves, il n’est absolument pas prêt à recevoir des élèves transgenres. Et pourtant il y a fort à faire ; dans la population trans de 16 à 26 ans, 67% ont déjà eu des idées suicidaires et 34% ont fait une ou plusieurs tentatives de suicide (association Homosexualité et socialisme, via Libération). Il me paraît donc important que les responsables scolaires, notamment les infirmiers et conseillers-psychologues d’orientation, soient formés à cette problématique.

 

Parlons maintenant du parcours de transition de genre en Corse. Il se compose principalement de deux parties : la transition administrative, afin de corriger ses prénoms et/ou genre sur ses documents d’identité, et la partie médicale, généralement une thérapie hormonale de substitution ainsi que des opérations chirurgicales pour ceux qui le désirent.

Comme ce parcours varie selon chaque individu, je m’exprimerai uniquement sur le mien.

 

Cette partie médicale est presque impossible à effectuer en Corse.

Soit il faut passer par une équipe dite « officielle » de prise en charge des transgenres (la plus proche se trouvant à Marseille) pour faire face à des « spécialistes » de la question. Seulement, ces équipes sont vivement critiquées pour leurs méthodes et, de toute façon, situées sur le continent.

 

Ou bien il faut effectuer un parcours privé, où on choisit soi-même ses praticiens.

Pour bénéficier de la prise en charge totale des soins par la Sécurité Sociale, il a fallu déclarer une ALD (Affection Longue Durée) par le biais de mon médecin traitant, à qui il fut nécessaire d’expliquer ma situation.

Pour la thérapie hormonale, il est nécessaire de consulter un endocrinologue qui prescrira de la testostérone. Or, plusieurs problématiques ; alors même que le traitement des transgenres ne nécessite pas de formation spéciale (les niveaux hormonaux étant les mêmes à équilibrer que pour des personnes cisgenres), aucun endocrinologue corse ne se déclare apte à traiter une personne trans en première consultation.

Seconde problématique : rares sont les praticiens acceptant de délivrer des hormones sans une attestation d’un psychiatre.

Rappelons que la dysphorie de genre a été retirée, voilà quelques années, de la liste des troubles psychiatriques. Mais voilà, il faut que notre identité soit confirmée par un médecin ; d’ailleurs déclarer un trouble type dépression, anxiété... est risqué car il peut amener au refus de diagnostic de dysphorie du genre.

Si j’ai eu la chance de rencontrer un psychiatre continental de passage qui m’a tout de suite écrit l’attestation, me confiant qu’il considérait que j’étais le seul capable de définir si j’étais réellement transgenre ou non, cette issue heureuse reste rare. De la part d’un psychiatre corse, on m’a déclaré « espérer que je ne faisais pas de shopping sur le boulevard » car hobby trop féminin.

 

Une fois l’attestation obtenue, il a fallu consulter un endocrinologue « spécialisé » (encore une fois, terme arbitraire puisque nos niveaux hormonaux sont les mêmes qu’une personne cisgenre) sur Paris. Non seulement cela reste inaccessible aux Corses les plus précaires, mais en plus cette docteur s’est comportée de façon hautaine, dédaigneuse, posant des questions déplacées et des remarques acides. Lui n’ayant pas fait part de ma situation professionnelle, elle a estimé indispensable que je trouve un travail car « les trans ne se sociabilisent pas »…

 

Quant aux hormones, les plus prescrites pour un traitement FtM (female to male) restent l’Androtardyl. Seulement voilà ; ces hormones sont en rupture depuis décembre 2018. A ce jour je n’ai trouvé aucune pharmacie corse en ayant un stock. Ces injections, faites toutes les 2 semaines environ, amènent à une opération chirurgicale, obligatoire sur le moyen terme, qui consiste à retirer l’utérus et les ovaires pour éviter le risque de cancer. Les hommes trans ayant fait cette opération ne produisent plus autant d’hormones féminines ; ils sont donc en danger critique en l’absence d’Androtardyl car l’humain ne peut vivre sans hormone sexuelle.

 

Par ailleurs certaines pharmacies, mal informées, exigent une ordonnance d’endocrinologue alors que seule la prescription initiale doit obéir à cette condition, le suivi pouvant être fait par un généraliste.

 

N’ayant pas effectué d’opération chirurgicale pour l’instant, je finirai par clore ce paragraphe médical en précisant que les interlocuteurs trans en Corse manquent. Les informations sont certes disponibles sur Internet, mais elles ne prennent pas en compte les particularités insulaires (les listes de praticiens LGBT friendly sont vides d’adresses corses notamment). Et il va sans dire que pour s’identifier comme trans, et trouver donc un remède à sa dysphorie de genre (et souvent, l’anxiété et la dépression qui l’accompagnent) il faut déjà avoir entendu parler de la transidentité… et pouvoir l’assumer sans le carcan sociétal.

 

Du côté administratif, je me considère chanceux. Même si la loi française requiert toujours, malheureusement, de se présenter à un tribunal pour le changement de l’état-civil, le tribunal devant lequel je me suis présenté a été humain, compréhensif, et n’a posé aucune question déplacée. Il en va de même concernant les institutions dans lesquelles j’ai fait changer mes papiers à ce jour. L’ouverture d’esprit et la compassion des magistrates a été un des rares moments me redonnant espoir dans mon parcours.

 

Ce passage peut être extrêmement laborieux et long selon les tribunaux impliqués. Il ne faut pas hésiter à passer des coups de fil pour connaître le suivi de son dossier.

 

Espérons que cette table ronde ouvre une nouvelle page permettant aux personnes LGBT d’être accompagnées et soutenues dans ce chemin épineux qui est certes une véritable épreuve de vie, mais qui, une fois réalisé, permet de se libérer de nombreux troubles.

 

E. Ashworth

TÉMOIGNAGE D’UN COUPLE DE FEMMES RÉSIDANT EN CORSE DANS UN PARCOURS DE PMA

Bonjour, je me nomme Marie et je suis ajaccienne, originaire de Guagno. J’ai rencontré ma compagne Cyndi à Corte en 2009 grâce au programme de mobilité étudiant avec le Québec (CREPUQ). Cyndi étant canadienne, les premières années, nous avons effectuées plusieurs allers-retours entre la Corse et Montréal car nous avions des visas de travail temporaires ou saisonniers. Le mariage pour tous n’était toujours pas en vigueur. En 2015, nous nous sommes mariées à la mairie d’Ajaccio et nous sommes installées en Corse de façon permanente. Dès le début de notre relation, nous étions d’accord qu’un jour, nous aimerions fonder une famille ensemble. Nous n’avions pas imaginé à quel point ce serait long et compliqué.

Fin 2015, nous avons effectué un premier essai au Canada avec un donneur, un ami proche, à qui nous faisons confiance. Nous avons acheté des tests d’ovulation en pharmacie et avons calculé tous les mois pour établir le bon moment. C’était le premier échec. Lorsque nous sommes rentrées en Corse, nous avons pris rdv avec un gynécologue pour passer des examens. Les résultats étaient qu’une de nous est stérile, l’autre a un souci d’anovulation et a besoin d’un traitement de fertilité pour pouvoir tomber enceinte.

Avec l’aide d’un gynécologue, nous avons fait un premier essai de traitement de stimulation ovarienne pour assurer que le protocole fonctionne et soit adapté. Lorsque nous avons eu le feu vert, nous avons fait appel à des cliniques situées en Espagne, Belgique et Danemark. Le coût de la procédure d’insémination en clinique ainsi que tous les frais liés au voyage étaient beaucoup trop onéreux pour nous. La clinique au Danemark nous a proposé une autre solution; nous envoyer tout ce dont nous avons besoin par le biais d’un service de livraison. Lorsque nous en parlons à notre Gynécologue, sa première réaction : "mais vous êtes folles!!!"… Nous lui avons expliqué, que c'est le plus sûr et le moins cher pour nous. En tout, avec le traitement et les frais d’envoi, 1600€; pour partir en Belgique ou en Espagne les coûts sont entre 4000€ et 10000€, impossible pour nous à l'époque. Aujourd’hui, même si nous sommes plus à l’aise financièrement, il y a toujours ce problème d'ovulation de toute façon.

Lors du deuxième essai, avec la clinique danoise, ils ont tout envoyé dans un récipient d'azote, expédié par un transporteur. Le colis s’est perdu en route. Nous avons appelé le transporteur et la clinique danoise à plusieurs reprises pendant plusieurs jours pour retrouver le colis avant la date de fin de conservation, et avant l’ovulation. Finalement, le colis a été renvoyé à l’expéditeur. Ils ont accepté de nous renvoyer le colis une deuxième fois sans frais, cette fois-ci avec un transporteur différent. Comme plusieurs jours se sont écoulés, nous devions attendre encore 2 mois avant de recommencer et comme le traitement ne peut être pris que 3 ou 4 fois d’affilé, cette tentative était notre dernière chance à ce moment-là. Malheureusement, ce fut encore un échec. Suite à cette dernière fois, nous avons décidé de faire une pause. Le stress, l’angoisse, le traitement hormonal ainsi que la tristesse des échecs sont beaucoup à gérer.

Depuis presque deux ans, nous n’avons plus essayé mais nous continuons d’en parler souvent. A ce jour, notre meilleure solution serait de trouver un donneur en Corse, mais nous préférons éviter de demander à un ami, et encore moins de passer par des sites internet spécialisés. Malgré le fait que nous avons entendu des avis très positifs sur cette méthode, nous aimerions éviter. Sur ces sites, certains hommes font des dons aux couples de femmes, aux femmes seules ou couples hétérosexuels stériles qui désirent des enfants. 

Même si ces personnes ont l'air très honnêtes et que nous sommes certaines qu'ils sont des gens biens, nous voulons avoir la garantie que le donneur n’a aucun problème médical, aucune maladie qu’il pourrait transmettre, qu’il n'aura aucun droit sur l'enfant, que nous serons ses seuls parents, et surtout avoir la loi de notre côté. Nous avions compté sur la PMA, nous pensions que la loi passerait plus tôt, mais non. Nous allons reconsidérer d’autres alternatives, mais cela peut prendre pas mal de temps, et du temps nous n’en n’avons pas énormément, nous avons toutes les deux bientôt 38 ans et même si aujourd’hui, les gens font des enfants plus tard, pour nous il est temps… 

Cependant, nous gardons tout de même espoir de pouvoir effectuer une PMA en Corse.

 

Marie et Cyndi

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